Le Marais Poitevin

Historique du Marais poitevin et enjeux actuels

Il y a dix mille ans , l’actuel emplacement du Marais Poitevin était occupé par un immense golfe qui s’étendait de notre côte actuelle jusqu’à Niort. Les alluvions marines argileuses (le bri ) et les sédiments d’origine fluviatile colmatèrent en quelques millénaires ce milieu devenu marécage. Sur les zones côtières et à l’embouchure des rivières, de vastes roselières se développèrent. En s’accumulant, ces débris végétaux mélangés aux sédiments des rivières donnèrent naissance à un sol alluvionnaire riche.

Si la nature avait poursuivi son œuvre, on peut imaginer qu’en quelques siècles le milieu se serait fermé petit à petit, laissant apparaître une grande forêt alluviale. Mais l’Homme en a voulu autrement. Halte migratoire sur la route de l’Afrique pour les oiseaux et réceptacle de riches alluvions, le golfe marécage attire les hommes depuis plusieurs millénaires, d’abord comme source de gibiers et de poissons. Mais l’Homme du Néolithique, devenu cultivateur et éleveur, se sédentarise et reconnaît des potentialités exceptionnelles à ces sols. Ce marais reste un espace sauvage encore soumis aux grandes marées et aux inondations saisonnières.

Après quelques tentatives très locales d’aménagement à l’époque gallo-romaine, il faudra attendre l’an mil et l’avènement de grandes abbayes sur ce territoire (Saint Michel en l’Herm, Maillezais, Nieul sur l’Autize…), pour voir se mettre en place une véritable politique d’assèchement des marais. Ainsi les moines seront à l’origine de l’assèchement et la mise en culture de plusieurs milliers d’hectares. Pour cela, ils creusent d’abord des canaux d’évacuation tournés vers la mer et drainant les eaux de pluie. Face aux grandes marées, ils élèvent des digues fabriquées avec l’argile et délimitent ainsi des casiers fonctionnels hydrauliquement et cultivables. Le marais laisse entrevoir des rendements agricoles notamment céréaliers inespérés pour l’époque.

Les périodes troublées de la Guerre de Cent Ans et des guerres de religion vont marquer la fin de cette première vague d’aménagements ; les abbayes et les seigneurs locaux ne parviennent plus à faire face à l’entretien nécessaire des digues et canaux et en quelques décennies une grande partie des zones aménagées reviennent à l’état marécageux initial. Il faut attendre l’accession au trône d’Henri IV et l’application de l’Edit de Nantes pour que ce territoire si tumultueux retrouve un contexte favorable à de nouveaux aménagements.

En effet, réfugié dans ce marais à plusieurs reprises du temps où il était encore Henri de Navarre le protestant, il comprit alors le potentiel agricole de ces zones de marais. Mais les caisses du royaume sont vides et les propriétaires terriens (abbayes et seigneurs) locaux ne sont plus en mesure d’assurer eux- mêmes la reprise des travaux. Il faut trouver des capitaux et des entrepreneurs susceptibles de se risquer dans cette grande aventure. En 1599, un appel à candidature est lancé : ce sont alors des hommes d’affaires qui y répondent, riches de capitaux. Les principes d’aménagement sont inspirés des techniques hollandaises déjà avérées.

C’est à cette époque que les grandes bases du fonctionnement hydraulique global seront entérinées créant alors deux entités distinctes et complémentaires : les marais desséchés, zone prioritaire où vont apparaître les cultures et l’élevage extensif, protégés des marées par les digues, et des débordements des rivières par des levées ; les marais mouillés, situés en amont du desséché, au contact direct des rivières et de leurs bassins versant.

D’abord imaginés uniquement comme une immense zone tampon permettant de recueillir l’eau des crues et ainsi d’épargner les cultures en aval, ils seront délaissés jusqu’au début du XIX siècle. En 1808, le décret de Napoléon Ier ordonne les travaux afin de rendre la Sèvre Niortaise navigable de Niort jusqu’à l’Océan : c’est le début des travaux d’aménagement des marais mouillés, sculptant peu à peu le paysage de bocage caractérisé par un maillage dense de fossés et de canaux (les conches) bordés de frênes têtards et peupliers.

Quel devenir pour le Marais Poitevin?

Les évolutions des pratiques agricoles et des mœurs depuis une cinquantaine d’années ont largement modifié les paysages du marais poitevin. Le marais poitevin est aujourd’hui un espace en crise. La riche biodiversité qu’il accueille est largement menacée.

Quel devenir pour le Marais poitevin?
L’agriculture

Le marais a été façonné par l’homme et il ne peut être entretenu que par lui. Dans cet entretien, l’agriculture joue un rôle prépondérant. Cependant les politiques agricoles actuelles conduisent à des pratiques incompatibles avec la survie du marais.

Avec la mécanisation et la mise en place de la Politique Agricole Commune, les agriculteurs doivent évolués dans un cadre financier rigide, auquel ils doivent s’adapter pour survivre.

Dans la P.A.C, pas de place pour le maraîchage ou l’élevage extensif. Les cultures traditionnelles du marais mouillé ne sont plus viables. Les terrains sont abandonnés les uns après les autres. Un tiers du marais mouillé (environ 9 000 hectares) est redevenu une forêt de frênes, sorte de friche beaucoup moins riche que les forêts originelles qui avaient les pieds dans l’eau.

Avec la P.A.C, vous avez plutôt intérêt à cultiver des céréales. Les agriculteurs abandonnent petit à petit leurs élevages.

Dans le marais desséché, c’est environ 30 000 hectares de prairie qui ont été labourées depuis les années 1970. Les parcelles sont remembrées, les fossés bouchés, remplacés par des drains en plastique sans vie. Autant d’atteintes à la biodiversité.

Dans le marais mouillé, la crue hivernale rend improbable la culture du céréale. Alors, sous la pression du lobby céréalier, la D.D.E évacue l’eau le plus vite possible, réduisant au maximum le temps de crue. Certaines années, il n’y a même pas une semaine de crue. Les terrains s’appauvrissent, les poissons ne peuvent plus frayer, les terrains les plus hauts, notamment le long de la Sèvre-Niortaise, sont labourés pour planter du maïs. Les niveaux d’eau ont été baissés en moyenne de trente centimètres en quarante ans, tandis que certains secteurs tourbeux se sont affaissés sur près de soixante centimètres….

Quel devenir pour le marais poitevin? Le maïs ou la friche?

Quel devenir pour le Marais, le maïs ? Quel devenir pour le Marais, la friche ?
L’entretien des canaux
Entretien des canaux

L’entretien des canaux, c’est une question complexe dans le marais. Suivant la taille, la situation géographique et le rôle du canal, le responsable change. A l’époque où la barque était le seul moyen de transport et où les terres étaient exploitées, il était nécessaire d’entretenir les canaux. Mais les chemins créés dans les années1960 pour accéder en tracteur et l’abandon progressif des terres ont eu raison de cet usage. Vous constaterez aisément les dégâts au niveau des fossés, dont l’entretien est à la charge des propriétaires qui n’y trouvent plus d’intérêt.

Il existe sur l’ensemble du marais une trentaine de syndicats de propriétaires. Ces syndicats ont à leur charge le curage de la plus grande partie du réseau (conches et fossés notamment). Seuls quelques très grands canaux sont à la charge de la D.D.E.

Ces syndicats sont financés par les taxes imposées aux propriétaires de terrains de marais, 100 francs par hectare en gros. Ca ne fait pas beaucoup d’argent. Avec ce peu de moyens, il faudrait défricher des milliers d’hectares et assurer le curage des centaines de kilomètres de canaux….impossible.

La gestion de l’eau

Gestion quantitative

L’évolution des pratiques agricoles et le manque d’entretien des canaux nous conduisent très fréquemment à des situations de sécheresse.

L’eau n’arrive plus

Lors des pluies hivernales, une partie de l’eau ruisselle vers le marais provoquant l’inondation (normalement), mais une partie importante s’infiltre dans les nappes phréatiques qui toute l’année alimentent le marais. Les exploitants du bassin versant ont réalisé nombres de forages pour irriguer leurs cultures. Ils prélèvent directement dans ces nappes. Le marais voit coupé son robinet d’alimentation à partir de fin juin début juillet en général.

Les capacités de stockage diminuent

Dans le marais mouillé, l’entretien des canaux n’est pas assuré convenablement. Tous les fossés bouchés, c’est autant de réserves d’eau qui disparaissent.

La demande augmente

Historiquement, le marais mouillé est sensé alimenter en eau le marais desséché en période estivale. Avec le retournement des prairies des dernières décennies, les besoins ont été largement multipliés.

Bilan

En amont, l’eau n’arrive plus ; au milieu, la capacité de stockage diminue ; en aval, la demande augmente : bilan, il y a un vrai problème. Des tensions et des conflits importants naissent entre bassin versant, marais mouillé et marais desséché. Chaque été, plusieurs centaines de kilomètres de canaux se retrouvent à sec, un vrai désastre écologique.

Canaux asséchés Barque à sec

Qualité de l’eau

Quand vous discutez avec les anciens, ils vous racontent qu’autrefois, ils buvaient l’eau directement dans le marais. Nous vous déconseillons d’essayer aujourd’hui.La qualité des eaux se dégrade pour deux raisons :

  • Les équipements de traitement des eaux usés manquent. Dans beaucoup de communes, le marais sert encore de tout à l’égout.
  • L’agriculture des bassins versants, réalisée sur des terrains pauvres, emploie nombre d’engrais et de pesticide. Avec le ruissellement, accéléré par la destruction des haies, et l’infiltration des eaux dans la nappe, tous ces produits se retrouvent tôt au tard dans le marais.

La gestion des niveaux d’eau dans le marais accentue ces phénomènes. Le marais pourrait agir comme un filtre naturel, en augmentant les surfaces de dilution pendant la crue et laissant agir naturellement les végétaux (les roseaux en particulier, mais il n’y en a presque plus) comme dans un grand lagunage. Mais la politique d’évacuation rapide de l’eau vers l’océan empêche le marais de jouer ce rôle. Les pollutions se concentrent alors dans la baie de l’Aiguillon, menaçant directement les activités mytilicoles.

Les espèces invasives

Plusieurs espèces animales et végétales invasives, pour la plupart originaire d’Amérique du Sud, menacent le marais et sa biodiversité. La plupart de ces espèces sont pourtant en vente libre dans les grandes surfaces du type jardiland.

Des animaux à surveiller

On connaît souvent le ragondin, grand ennemi des cultures et des berges, que les agriculteurs combattent depuis déjà plusieurs décennies, avec des techniques souvent préjudiciables comme l’empoisonnement dont on ne maîtrise pas l’impact sur le milieu. Mais le ragondin n’est que la partie émergée de l’iceberg.

Plus dangereux, on observe depuis quelques années sur le marais des écrevisses de Louisane. Redoutables prédateurs, elles s’attaquent à tout (larves, alvins) et creusent des terriers dans les berges. En Gironde où elles sont présentes depuis une quinzaine d’année, elles représentent 90% de la biomasse de certains étangs. Attention, il y a danger…

Autre menace : la grenouille taureau. Il s’agit d’une grenouille grand format (plus grande qu’une main d’adulte), qui ne croasse pas mais émet un vague « meuh, meuh … ». Elle constitue une menace directe pour les espèces autochtones de grenouilles. Observée en Gironde depuis une dizaine d’année, elle remonte vers le nord. Des observations récentes attestent de sa présence en Charente-Maritime.

Des plantes envahissantes

A l’instar de la taxilfolia qui envahie les fonds méditerranéens, il existe dans le marais des plantes qui colonisent les canaux. La plus dangereuse et la plus répandue, c’est la jussie (Ludwigia sp.). Vous en verrez forcément. Enracinez au fond de l’eau, elle développe ses feuilles hoblondes et striées et ses petites fleurs jaunes en surface. Très dure à maîtriser, elle colonise les canaux par simple bouturage des fragments qui se détachent des pieds principaux. En quelques temps, cette plante bouche un canal.

Massif de jussie Fleur de jussie
Le développement touristique

Des centaines de milliers de bipèdes viennent chaque année dans le marais. Le marais est grand, il y a de la place pour tout le monde, mais certains naturalistes observent de très fortes concentrations de touristes sur certains villages et embarcadères du marais. Ce tourisme de masse n’est pas sans effet : dérangement de la faune, dégradation des berges par des barques mal manœuvrées, cueillette abusive de plantes protégées ou non…

Le tourisme n’est pas nuisible en soit, à condition de faire les choses correctement en répartissant la fréquentation et en proposant un véritable accompagnement des visiteurs afin de les sensibiliser à la richesse et à la fragilité de ce milieu.

Le « développement touristique » actuel du marais est inquiétant à plusieurs niveaux :

  • On propose une vitrine du marais dans lequel tout irait pour le mieux afin que le visiteur reparte heureux d’être content. Peu d’acteurs touristiques considèrent l’information et la sensibilisation comme une priorité. On parle de batellerie traditionnelle alors qu’on promène les gens dans des bassines qui n’ont plus grand chose à voir avec un  » batai « , on parle de marais sauvage (aberration vu que le marais n’existe que par la main de l’homme), on vend du pâté de ragondin alors que peu de maraîchins en ont même goûté, des confiseries en forme de mojette, etc.
  • Les pouvoirs publics (communes, conseils généraux, régions, état, Europe) s’investissent et investissent énormément pour le « développement touristique ». Les campagnes médiatiques se multiplient, Des centaines de kilomètres de chemins et de pistes cyclables sont créés sans forcément réaliser d’étude d’impact préalable.

Alors que des sommes faramineuses sont allouées à ce « développement touristique », on oublie de poser des questions fondamentales. On semble oublier que ce que les visiteurs viennent découvrir, c’est un paysage et une biodiversité exceptionnellement riches. Mais parmi les gens qui vivent du tourisme, combien participent à l’entretien du marais ? Alors que les infrastructures élémentaires (assainissement, équipements divers…) manquent dans bien des villages, alors que les acteurs de l’entretien manquent de moyens, on est à même de poser la question de la priorité des investissements.

Comment sortir de la crise?

Cet état des lieux désastreux et alarmant est connu de tous les décideurs politiques depuis une quinzaine d’années au moins…on promet des choses…on attend toujours.Apporter une solution est délicat. La complexité administrative n’arrange rien. Difficile de faire aller dans une même direction trois départements, deux régions, et des entités aussi différentes que le marais mouillé et le marais desséché. Tout le monde n’a pas l’air convaincu que l’un ne peut exister sans l’autre.

Une chose est certaine, il est nécessaire que l’état assume ses responsabilités en aidant la mise en place d’une agriculture qui soit viable et compatible avec la richesse biologique du milieu, et en aidant financièrement les responsables de l’entretien des canaux.

L’enjeu est de taille, l’évolution du marais très rapide et difficilement réversible. Si un changement de politique ne s’opère pas, nous arriverons très vite à un marais pourri, avec quelques villages Disneyland entretenus en partie pour le tourisme, tandis que le reste du marais ne sera que canaux bouchés, friches et cultures céréalières…

Il y a véritablement état d’urgence!